mercredi 6 février 2008

Pourquoi la haine ?

L'autre jour je lisais ce qui était en train de se passer au Kenya, et ça m'a fait penser au Rwanda, et ça m'a fait penser aux Balkans. Je me suis demandé comment des personnes qui se connaissent depuis leur naissance, qui à défaut de s'aimer se sont appréciées, peuvent arriver à tuer leurs voisins, leurs amis...

Voici un début de réponse qu'une amie, experte en matière de haine pour l'avoir souffert, m'a transmis après y avoir réfléchi :

Concernant ta question d'hier sur la haine...

Pour expliquer la haine je pense qu'il faut garder à l'esprit que l'Homme a des instincts primaires. Après, il y a aussi le rejet (ou la peur) de l'autre parce qu'il est différent. Regarde dans les écoles, tu as les filles cool, les moins cool, les garçons mignons, les moins mignons, les intellos, les sportifs, les "in", les "has been", etc. Ensuite, il y a aussi le fait que l'identification est une chose primordiale chez l'homme. On s'identifie tous à quelqu'un et/ou à une communauté... Enfin, ne pas oublier que l'homme est un être insatisfait. "Je te tends la main, tu me prends le bras"...

Et maintenant imagine :

- Tu es un petit garçon. Tu grandis dans une famille où depuis des générations on se remémore les victoires de la Nation, mais aussi la défaite en 1389 face à l'Empire ennemi où le rêve de la grande Nation s'est effondré. En tant qu'enfant, tu vois les yeux de ton grand père qui brillent lorsqu'il te conte les conquêtes, et tu ressens son envie de vengeance quand il te raconte les défaites.

Comme dans toute société il arrive que des failles se produisent, que des gens se sentent rejetés (pense à l'école et aux groupes). Et à ce moment là, les instincts primaires refont surface. Arrive alors un homme assez malin pour savoir jouer des faiblesses du système et réveiller en chaque petit garçon le souvenir de ces histoires racontées par grand-père, de Grande Nation, de revanche contre l'Empire ennemi (même si de cet Empire il ne reste que quelques traces ici ou là mais ce sont des traces en trop qu'il faut éliminer... et au passage il faut également éliminer tous ceux qui sont contre l'idée de la Grande Nation).

Alors, cet homme que tu es devenu (et tant d'autres comme lui) suit cet autre homme en qui il s'identifie, en qui il a trouvé un "guide", et il le suivra coûte que coûte (quitte à tuer son meilleur ami pour faire honneur à ses ancêtres, sa famille (au passage premier groupe social auquel on s'identifie, et on appartient).

-Imagine maintenant que tu es une petite fille dans un village dévasté par la guerre. Tu vis avec ta maman et tes grand-parents. Depuis que tu es petite, tu es habituée à voir tous les matins les ruines qui entourent ton village, voir ta maman qui est triste, et ressentir comme un poids qui pèse dans l'atmosphère familial. Tu te dis que c'est la faute de la guerre, le décès de ton oncle durant cet "évènement" Guerre pendant laquelle tu es née mais dont tu n'as aucun souvenir; à part les histoires que tu entends ici ou là.

Tout cela n'empêche que tu es heureuse, ta mère avec laquelle tu es très proche du fait que vous n'ayez que 14 ans de différence t'aime plus que tout, tes grand-parents aussi, tu es une bonne élève à l'école, tu as un tas d'amis, même un garçon qui te tourne autour, tu passes tes soirées à discuter de lui avec tes copines, etc.

Tu grandis, tu te poses des questions sur ton identité. Tu voudrais demander à ta mère où est ton père mais tu n'oses pas, "certaines questions ne se posent pas". Et puis si c'est pour t'entendre dire qu'il est mort pendant la guerre comme le père de ta copine de classe... Alors tu mènes plus ou moins une petite enquête en posant des questions à ta vieille voisine qui sait tout sur tout et qui a toujours été gentille avec toi. Et là, pour la première fois tu la sens mal à l'aise... Poussée par la curiosité (instinct primaire ?) un soir tu décides d'espionner ta grand-mère et ta maman, et tu entends la voix de mamie dire "tu devrais lui dire, elle comprendra, ça l'aidera..." Mais maman dit "non, je ne peux pas, c'est plus fort que moi"...

Tu es intriguée et tu commences alors à poser des questions naïves du genre comment ils se sont rencontrés avec ton père ? est-ce qu'il était aussi beau que ton petit copain ? Et ta mère te répond à chaque fois "écoute mon coeur, j'ai bossé toute la journée, une autre fois, d'accord ?"

Et puis un jour tu en as plein le dos alors tu menaces ta mère de te barrer avec ton copain pour toujours, et elle pourra crever tu ne reviendras pas. Et pour la provoquer davantage tu ajoutes qu'elle ne sait peut-être même pas qui est ton père et que c'est sans doute pour ça que tout le monde te regarde bizarrement dans le village...

Et là ta mère se met dans une colère noire, te colle une gifle, puis une autre, puis une 3e... et dans l'hystérie elle te dit que non elle ne se souvient pas de ton père parce qu'après qu'il ait exécuté ton oncle devant les yeux de la famille le soldat l'a ensuite violée et que 9 mois après tu es venue au monde...

- Maintenant tu es un petit garçon palestinien, et en même temps une petite fille israélienne.

En tant que petit garçon tu grandis dans un bidon ville. Tu dois faire les poubelles pour manger. Ta famille ? Tu ne sais pas où elle. Un jour un monsieur te sauve de là. Il t'offre l'hospitalité, te traite comme un fils et t'inscrit même dans l'école la plus prestigieuse de la région.

En tant que petite fille, tu grandis dans une grande famille heureuse. Tes deux grands frères sont dans l'armée, et ils défendent le pays. Et tout le monde est tellement fier d'eux, et toi aussi bien sûr. Un soir le petit garçon devenu jeune homme et la petite fille devenue une jeune fille se croisent lors d'une soirée. Elle sait très bien qu'elle ne doit pas ressentir des choses pour ce garçon mais rien n'y fait. Les sentiments ne se contrôlent pas...(instinct primitif ?) Vous vous revoyez de temps en temps, et un jour même, vous allez même jusqu'à échanger un baiser...

En tant que fille tu vis ton premier amour, tu es sur un nuage ! En tant que garçon c'est la première femme qui rentre enfin dans ta vie, elle est si douce, jolie... Et tous les deux vous pensez la même chose en vous couchant le soir : "les "autres" ne sont pas tous les mêmes".

Quelques jours plus tard, pendant ton cours d'histoire des civilisations un policier rentre dans la salle de ton école prestigieuse, se penche vers ton professeur, lui dit quelque chose à l'oreille et à son tour le professeur t'appelle. Tu t'avances, tu suis le policier qui t'apprend que ton père a été tué par balle. Tout s'effondre autour de toi. Ton père qui était ton repère, ton héros, ton modèle, ton ordre, ta loi, ton TOUT, n'est plus. Des gens autour de toi te disent que ce sont les "autres" qui l'ont tué, comme ils ont tué ta famille, qu'il faut se venger. Tes instincts primaires/primitifs reprennent le dessus. Tu croises sur ta route des hommes auprès desquels ton envie de vengeance se développe de jour en jour. La haine grandit. Un jour l'un d'eux te propose l'instrument de la vengeance : une ceinture d'explosifs. Et tu vas à la sortie d'une de "leurs" écoles et avant de te faire sauter tu dis "vous êtes tous les mêmes, vous méritez ça".

Et la fille que tu es, ce jour-là perd deux de ses petites soeurs. Et en lisant le journal du lendemain, tu y vois la photo de l'assassin et tu t'effondres en voyant que c'était le garçon qui t'avait transporté dans une autre monde. Tu en conclus que finalement tous les "autres" sont les mêmes et qu'ils méritent ce qui leur arrive.

- Concernant le tribalisme, il me semble que cet article est intéressant :

www.politique-africaine.com/numeros/pdf/061098.pdf

La haine est véhiculée par une minorité de gens, mais une fois qu'elle se trouve un chef qui sait rassembler, cette minorité peut faire des ravages. Et qui sont ces chefs ? En général ce sont des petits garçons ou des petites filles qui étaient dans le groupe montré du doigt à l'école, ceux à qui ont faisait toutes les misères du monde, ceux qui ne se sont jamais sentis aimés, ou ceux qui se sont toujours dit "ce ne sont pas les autres qui me dictent ma conduite, c'est moi qui dit aux autres ce qu'ils doivent faire". Ce sont ceux chez qui tous les éléments qui mènent vers la haine sont réunis. Et une fois que ces gens là flirtent avec le pouvoir...

Je pense que tout ça peut aider à expliquer d'où vient la haine. Mais malgré toutes les explications du monde, je n'arrive pas à la comprendre, ni à la tolérer. J'ai eu un discussion très vive sur ce point. La personne en face de moi disait "comment tu peux ne pas tous les détester ? Tu devrais avoir de la haine en toi !"

Quand j'y pense oui, de la haine aurait pu se développer en moi. Après tout, mon enfance m'a été enlevée en un jour, j'ai perdu tous mes repères, j'ai vu des choses pas jolies jolies... J'ai été mutilée à jamais. Mais je ne ressens aucune haine, aucune vengeance envers qui que ce soit parce que j'ai vu, vécu et ressenti ce à quoi a conduit la haine de l'autre, et que je ne souhaite à personne de vivre ça.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

et mélanger la religion et la politique ça peut aussi faire des dégâts